Décaler : (v. tr.) - Enlever la cale à ; changer l'équilibre, l'aplomb .

/ Vivre à l'étranger, c'est larguer les amarres et expérimenter le décalage / Ailleurs, on se trouve dans une posture délicate, il faut apprendre à ajuster son regard, rééquilibrer sa pensée / S'adapter et s'intégrer... / Ce blog est le fruit de mes interrogations perpétuelles, de mon regard français qui se promène sur le Cameroun, toujours un peu décalé.

samedi 18 décembre 2010

La crise ivoirienne vue du Cameroun : Illusions perdues

Depuis le début des élections en Côte d’Ivoire, les Camerounais sont très attentifs à ce qui se passe chez leur voisin de l’Ouest. Dans les bars, les débats vont bon trains : pro-Gbagbo et pro-Ouattara se lancent dans des diatribes enflammées. Il est question des pratiques politiques, de l’avenir de l’Afrique, mais aussi (et surtout) des futures élections au Cameroun. Les événements en Côte d’Ivoire engagent les citoyens camerounais à des conjectures et des  transpositions : Cameroun - Côte d’Ivoire, même combat ? Alors que le Cameroun se prépare aux présidentielles de 2011, l'identification est forte. Une chose est sûre : vue de France ou vue du Cameroun, la crise ivoirienne n’a pas les mêmes contours et révèle des sensibilités bien différentes. Incursion dans la presse camerounaise, qui offre une autre analyse de la situation, en décalage avec l'information relayée par les médias occidentaux.


Une leçon de démocratie

Fin novembre, le quotidien camerounais Le Jour a publié un dossier : « Election : l’exemple qui vient de la Côte d’Ivoire ». Il est question de la gestion des bureaux de vote en Côte d’Ivoire, des mesures de sécurité et du débat télévisé qui a opposé Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, , le 25 novembre dernier.
Ce face à face historique a été suivi avec intérêt au Cameroun. Selon des témoignages recueillis par Le Jour , la Côte d’Ivoire donne « une leçon de démocratie apaisée, à la face du monde » (Mouhaman Toukour, maire UNDP de Ngaoundéré 2ème). « Laurent Gbagbo, les Ivoiriens et la Côte d'Ivoire ouvrent […] la porte, tracent la voie à suivre par les autres Africains, en inaugurant la pratique du débat contradictoire pour les deux finalistes d'une élection présidentielle.» (Enoh Meyomesse, analyste politique). Le sujet est également un prétexte, pour les hommes politiques camerounais, à formuler des revendications à l’approche des élections présidentielles, prévues fin 2011 : ils dénoncent « le retard » du Cameroun, dont la structuration électorale n’a jamais permis un second tour de scrutin et demandent l’instauration de débats publics, permettant une réelle confrontation du pouvoir en place avec les partis d’opposition. Ils soulignent  le manque de transparence et de neutralité de la structure en charge de l’organisation électorale, Elécam, et demandent une révision de son fonctionnement.


Du grain à moudre

Selon le quotidien Mutations, le modèle ivoirien a généré un élan d’ouverture au sein du parti au pouvoir, le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) : « On peut d’abord considérer que le récent face à face Alassane Ouattara-Laurent Gbagbo, peu avant le second tour de l’élection ivoirienne du 28 novembre dernier, a levé les derniers verrous des caciques et extrémistes du RDPC ». Ainsi, le Président camerounais Paul Biya, semble faire amende honorable et parer aux attaques de ses détracteurs. Pas de dialogue avec l’opposition ? Qu’à cela ne tienne, pour la première fois depuis qu’il est au pouvoir, il a demandé à rencontrer officiellement son principal rival, John Fru Ndi (président du Social Democratic Front). L’entrevue, qui a fait les gorges chaudes de la presse,  a eu lieu à Bamenda le 10 décembre dernier. Ce véritable « coup médiatique», qui fait le jeu de la démocratie, n’est certes étranger à la stratégie préélectorale de Paul Biya, dont la légitimité a été mise à mal suite aux émeutes de février 2008 (qui ont culminé lorsque Paul Biya a annoncé sont projet de modifier la constitution, afin de pouvoir se représenter aux présidentielles de 2011). Mutations ajoute que  « la rencontre de Bamenda pourrait déboucher sur la capacité pour le chef de l’Etat à dépoussiérer les propositions de la Commission Joseph Owona qui, en 1995, […], avait suggéré l’institutionnalisation du statut de l’opposition et de son chef. Parce que l’avenir est imprévisible, et l’histoire impitoyable. »  On ne pouvait mieux dire …

Patatras

… car depuis début décembre, la Côte d’Ivoire qui semblait pourtant si bien partie, se retrouve avec une épée de Damoclès au dessus du drapeau. Au Cameroun, l’opinion publique déchante et se divise. Le journal officiel, le Cameroon Tribune, se perd dans ses déclarations : le jeudi 02 décembre 2010, il titre : « Alassane Ouattara déclaré élu à a présidentielle ivoirienne ». Puis le dimanche 05, il annonce finalement : « Côte d’Ivoire : réélu, Gbagbo prête serment ». Depuis lors, il s’en tient aux faits et au flou institutionnel, tout en regrettant la débâcle qui secoue le pays.
Si la quelques journaux indépendants se rangent  du côté de la Commission Electorale Indépendante (CEI) et de la communauté internationale  - a l’instar du quotidien Mutations, qui dépeint Laurent Gbagbo comme un « bouffon tragique », qui reste « accroché au nationalisme, corde sensible de la population» - le portail d’information Cameroun Actu révèle que dans l’ensemble, « l’opinion publique prend fait et cause pour Laurent Gbagbo », et considère que les institutions occidentales manipulent les opinions et attisent les divisions.
De son côté, l’Union of the populations of Cameroon, (l’UPC, le parti d’opposition historique au Cameroun), appelle les Ivoiriens à soutenir Laurent Gbagbo et en profite pour dénoncer « l’ingérence étrangère qui constitue une atteinte à la souveraineté d’un pays indépendant » (déclaration de l’UPC, 08.12. 2010). Ainsi, à la question de la démocratie, se superpose celle de l’indépendance « réelle » de l’Afrique.  
À ce sujet, La Nouvelle expression  s’interroge :
« Les Africains s’accommodent-ils mal de la démocratie ? […]Ce qui se passe depuis la semaine dernière en Côte d’Ivoire illustre à suffisance des atermoiements des Africains à s’approprier et à implémenter la démocratie occidentale.» La crise en Côte d’Ivoire relève de l’affrontement entre « légitimité » et « légalité », qui oppose, en Afrique, le « chef » et les institutions démocratiques, le modèle traditionnel et le modèle occidental. Finalement, selon La Nouvelle Expression, la Côte d’Ivoire s’est engouffrée la contradiction paradigmatique de la politique africaine.
Du côté du bar de quartier, les discussions vont bel et bien dans ce sens : Guy, chauffeur de taxi, s’anime : « les occidentaux ne viennent là que pour mettre la pagaille ! Et la CEI agit au mépris de la constitution ivoirienne ! » Un autre client de « Chez Isaïe » intervient : « ce qu’il nous faut, chez nous, c’est un pouvoir fort. Le modèle occidental n’est pas bon pour nous, ce qu’il nous faut plutôt, c’est un modèle à la chinoise. C’est pourquoi je pense que Gbagbo ne doit pas céder à la pression internationale. »

Espoir déçu

Toutefois, l’espoir d’un modèle d’élections apaisées, sur lequel le Cameroun pourrait s’inspirer, a fait place à de sombres bilans. « Les plus récentes évolutions sur le terrain (ivoirien, ndlr) ont conduit, hélas ! au désenchantement, à la désillusion. En effet, les Ivoiriens ont incontestablement été rattrapés par les vieux démons de la division, de l’intolérance, du rejet de l’autre. Toutes choses qui font le lit de la violence, de la haine. L’on avait donc jubilé trop tôt ? Assurément ! […] L’image de l’Afrique ne s’en trouve que plus écornée. Atavismes ? Que reste-t-il des engagements pris solennellement aux yeux du monde ? » (Cameroon Tribune, le 03.12.2010). La Côte d’Ivoire sert d’étalon pour mesurer les évolutions de l’Afrique : « La situation en Côte d’Ivoire nous révèle tant de choses sur la fragilité de la réalité de notre continent. […] C’est cette rigidité, cet entêtement qui a été à la source de tant de guerres, de tragédies et de dictatures qui font que l’Afrique n’est pas toujours sortie de l’ornière[…] La grandeur d’âme d’un Mandela reste une denrée rare sur le continent. (« La rigidité de l’africain », Mutations).
Le fatalisme et la déception causés par la crise ivoirienne ne peuvent se lire qu’à l’aune des attentes et de la fébrilité qui se cristallisent autour de la prochaine échéance électorale au Cameroun. Après la crise de 2008, les Camerounais ont conscience de l’enjeu que représentent les élections présidentielles de 2011. Cependant, dans la rue, l’on entend souvent les débats les plus vifs se clorent sur une boutade accablée : « Le changement ?! quel changement ? Laisse ça… »
En tout état de cause, l’interprétation de la crise ivoirienne est radicalement différente sur le continent et la question de la légitimité de Laurent Gbagbo fait écho, au delà des frontières de la Côte d’Ivoire. Les positions de la communauté internationale se heurtent au problème de la souveraineté des Etats africains qui viennent de célébrer le cinquantenaire des indépendances. Ce décalage est ressenti de manière aigue au Cameroun : « Chez Isaïe », où la dernière déclaration de Nicolas Sarkozy à ce sujet est retransmise à la radio, on lève les yeux au ciel…

mardi 14 décembre 2010

Yaoundé Guinguette

Le week-end dernier, virée nocturne à Yaoundé… nous étions invités à la ré-ouverture d’un restaurant, le Sintra, qui fut dans ses heures glorieuses une sorte de « café de Flore » de Yaoundé. Et là, quelle surprise : un accordéoniste dans un coin de salle, des « canons » sur le bord du comptoir, les lumières crues dans le pur style brasserie-choucroute et un buffet cornichon-beurre salé ! L’esprit franchouillard sous les tropiques, ça décape !
L’accordéoniste a été formé à Versailles, par – semble-t-il un as du biniou – il connaît tous les classiques musette du répertoire. Et tous les aficionados d’entamer « la java bleue » !

Comme c’est étrange d’esquisser sans même le vouloir quelques pas de valse dans Yaoundé, le temple du bikutsi, de la bière Castel et des brochettes de bœuf grillées et pimentées… C’est complèment… décalé ! Pourtant, la globalisation, la culture monde, les échanges et les fluxs nous habituent à tout : certains camerounais font du Taï –chi et suivent les aventures de Jack Bauer à la télé, tandis que les parisiennes branchées prennent des cours de flamenco et de danse africaine. J’ai, par ailleurs, déjà pu expérimenter le « brooklyn-guinguette » lors d’un de mes voyages à New York : pour le 14 juillet, certaines rues de Brooklyn sont réinvesties en terrain de pétanque-pastis-balloche !
Je ne devrais pas être surprise d’une semblable transposition à Yaoundé et pourtant… si !

Ca me met même légèrement mal à l’aise, car je me dis que quelques casques de colons plus tôt, ça devait ressembler à ça, Yaoundé by night… dans les beaux quartiers, une brasserie à la française pour venir soigner les nostalgiques et  recueillir l’élite intellectuelle du pays … ceux qui avaient fait leurs études à St Germain des prés. Aujourd’hui, dans les rues, on ne la sent plus tellement cette nostalgie de la culture française… à part peut-être chez quelques irréductibles expatriés. C’est plutôt l’inverse je dirais : un bon nombre de camerounais continuent d’en vouloir à la France à cause de la colonisation bien sûr, mais également à cause de la Françafrique, le bras droit du pouvoir en place… Alors Yaoundé-Guinguette, tout de suite, ça n’a pas le même coté sympa-cocorico qu’à Brooklyn.

Dans le bar, un expatrié vient – en sus de son activité professionnelle- de lancer une petite entreprise : il fait fabriquer des cigares au Cameroun, avec du tabac camerounais qui est paraît-il de très bonne qualité. Il a fait fabriquer deux types de conditionnement: une boîte pour les étrangers qui est labellisée « Cameroun », et une autre boite pour les camerounais qui n’indique pas la provenance du produit et imite le design cubain : " les camerounais ont une telle mauvaise image de leurs pays que sur des produits un peu haut de gamme, ils n’achètent jamais local. Ils préfèrent ce qui est importé." Une stratégie marketing qui en dit long sur le chassé-croisé des représentations et des attentes, et sur les sentiments ambigus qu’entretient le Cameroun avec lui même et avec l’ « ailleurs ».
Yaoundé-Guinguette, dans tout ça, n’a qu’à bien se tenir !


mardi 7 décembre 2010

Culture Pub

Ce week-end, à Foumban, c’était la fête du Nguon, un ensemble de rituels traditionnels du peuple Bamoun. Le Sultan Njoya se montre devant sa cour, et les sujets le destituent temporairement de son pouvoir et viennent l’interpeller, lui présenter leurs doléances et lui soumettre leurs observations.

Tradition et publicité
 
Cette fête traditionnelle était également une fête de la récolte, un moment où les producteurs Bamoun venaient remettre au sultan une part de la récolte, afin que le palais puisse faire des provisions. La fête du Ngouon a été autrefois interdite par les colons français. Elle a été reprise – en symbole de la pérennité de la culture Bamoun – il y a quelques années.

Malheureusement, cet événement, qui a lieu tous les deux ans, a vite été vampirisé par les grands sponsors … Orange, MTN et les concessionnaires se sont glissés dans la fête. Cherchez l’erreur.

Si si, cherchez bien...

lundi 6 décembre 2010

Lu dans la presse camerounaise cette semaine

Pour faire suite à mon précédent post sur « l’appel du peuple » et la campagne présidentielle 2011 au Cameroun : un article très intéressant dans le quotidien Mutations, qui m’a aidée à comprendre la logique des « motions de soutien »  pour une prochaine  réélection du Président Paul Biya.

Ces motions de soutien, nous explique le journaliste Etienne de Tayo, sont le fait d’entrepreneurs politiques, qui, à la veille des prochaines élections ont peur du changement.  Ces garants du système en place sont des personnalités de tous horizons (politique, religieux, affaires) qui montent des listes d’appui, en fédérant des personnes physiques et des soutiens financiers. Plus une liste est importante, et plus le parti au pouvoir, le Rdpc, ca attribuer de l’importance à l’initiateur, à ses revendications et à ses intérêts personnels…



« la conception d'un certain nombre de listes est devenue un élément presque structurant du champ politique et social camerounais. Au point qu'on parlerait facilement de la démocratie des listes », dit Etienne de Tayo

Ces listes donnent lieu à de véritables spéculations : on  investit dans une liste pour obtenir des privilèges, grimper sur l’échelle sociale. On coopte, ou soudoie, on s'allie à ses ennemis notoires pour monter des listes efficaces, susceptibles de faire monter en grade. Ainsi, ce système se prête-t-il à merveille aux mécanismes de corruption qui minent le pays, car l’argent investit dans les listes est bien souvent l’argent public !

Enfin, selon le journaliste de Mutations, ce phénomène des motions de soutien est si massif qu’il commence à devenir encombrant … « Paul Biya lui-même sait que ceux qui inondent [..] de motion de soutien, soutiennent plutôt la réalisation d'un pronostic de leur réussite personnelle qu'il ont fait, des paris qu'ils ont misé sur la réélection de Paul Biya, laquelle réélection leur permettra de conserver les privilèges ou d'accéder à la mangeoire. Ils agissent en faisant triompher cette magnifique formule de Félix Cyriaque Ebole bola : «près de l'Eglise, loin de Dieu».

jeudi 2 décembre 2010

Jumeaux made in Africa (spécial dédicace !)


Il paraît que l’Afrique est le continent avec le plus fort taux de gémellité au monde, le « continent des jumeaux ». D’un pays à l’autre et d’une ethnie à l’autre, de nombreux mythes sont associés à la naissance de jumeaux.  Ils incarnent parfois le couple originel qui a osé défier les lois divines et est ensuite descendu sur terre pour semer le désordre (à l’est et au Sud du continent). En Afrique Centrale et en Afrique de l’Ouest cependant, l’arrivée de jumeaux est considérée comme une véritable bénédiction. On prête à ces enfants une force particulière – voire des pouvoirs surnaturels - qu’il convient de ne pas contrarier. Ainsi, ils bénéficient souvent de traitements de faveur et sont gratifiés d'attributs (bijoux, amulettes …) spéciaux.


Dans l’art traditionnel africain, les jumeaux sont souvent représentés, sous formes de petites statuettes dont la symbolique et les significations sont multiples. Dans une chefferie Bamiléké que nous avons visitée dans l’Ouest du Cameroun, une des plus grandes reines qui ait régné était la « mère des jumeaux ». Sa légende s’est poursuivie à travers les siècles, et une grande statue de bois, avec deux enfants de part et d’autre, a été sculptée à son effigie. En effet, bien souvent, la gloire des jumeaux rejaillit sur les parents, qui sont alors considérés comme des élus de Dieu.

 

dimanche 28 novembre 2010

L’Appel du peuple : la campagne des présidentielles 2011 en marche

Comme je l’ai déjà mentionné sur ce blog, le Cameroun se prépare aux élections présidentielles, en novembre 2011. Pour rappel, le président actuel, Paul Biya, a pris ses fonctions en 1982. En 2008, il a changé la constitution, qui limitait le nombre des mandats présidentiels, afin de pouvoir se représenter en 2011 – un geste démocratique, avait-il alors précisé. Le choix du peuple ne devrait pas être entravé par un verrou constitutionnel (sic).

La rhétorique est simple : c’est parce qu’il respecte la liberté et la volonté massive de son peuple que Son Excellence Paul Biya doit se présenter en 2011. Encore faut-il s’en convaincre …  Qu’à cela ne tienne : « L’appel du peuple », volumes 1 et 2, deux pavés de plus de 300 pages sont parus dernièrement (en décembre 2009 et en mars 2010). Ils rassemblent toutes les motions de soutien adressées au président, valorisant son œuvre et contestant les attaques qu’il a subi ces dernières années (notamment sur sa fortune personnelle, les fameux « biens mal acquis » pour lesquels il vient d’être poursuivi en France). Un troisième volume est en préparation. Cette imposante littérature se veut représentative de la société camerounaise dans son ensemble, toutes ethnies, confessions et obédiences confondues.  Noir sur blanc, gravée dans le marbre, s’élève la voix de la raison populaire.


Présentation officielle, lectures publiques, conférences, et affiches 4x3 dans la ville : la promotion de l’ouvrage est sérieuse. Il faut préciser également que les éditions SOPECAM ,qui ont publié cet ouvrage, sont l’organe de presse officiel, levier incontournable du RDPC (le parti au pouvoir). Dans un communiqué officiel, disponible sur le site du RDPC, l’on apprend qu’en tant qu’ « entreprise citoyenne, la Société de presse et d’édition du Cameroun (SOPECAM) ne pouvait demeurer indifférente et se mettre en marge d’un courant populaire qui s’exprime avec une telle persistance à la face du monde »…

Il est assez incroyable, pour moi, d’observer la mise en place massive et ostensiblement téléguidée d’une campagne présidentielle au Cameroun. Les partis d’opposition sont pléthores, et obtiennent des financements de campagnes sans conditions. Cependant, ils sont, à ce jour, invisibles et inaudibles, tandis que la machine RDPC pose ses premiers jalons en justifiant précisément d’ une « prise de parole engagée, déterminée, libre, lucide, authentique et sans équivoque du peuple camerounais (…) dans le débat politique dans notre pays »  (communiqué officiel : « L’appel du peuple, l’expression de la légitimité », site web du RDPC).

mardi 23 novembre 2010

Lu dans la presse camerounaise cette semaine

La Nouvelle Expression, Mardi 16 Novembre 2010
Moins de 600 000 travailleurs permanents au Cameroun …

… Sur une population active estimée à plus de dix millions de personnes en 2009. Avec moins de 390 000 emplois, les entreprises révèlent leur incapacité à créer plus d’emplois. Même constatation pour l’Etat qui compte moins de 200 000 agents.

« Les entreprises recensées lors du dernier recensement général des entreprises (rge) organisé en 2009 emploient seulement 386 263 travailleurs permanents. Parmi eux, 281 972 sont des hommes (73%) et 104 291 sont des femmes (27%). […]
La même constatation est dégagée par l’Institut national de la statistique (Ins) […] : « Même en y ajoutant les 43 495 emplis temporaires recensées, on obtient que 429 758 emplois dans le secteur des entreprises, soit 4,3% de la population active estimée à près de 10 millions de personnes en 2009 »
La même constatation, les mêmes critiques valent pour le secteur public qui n’emploie que 196 056 personnes, même si l’Ins passe vite dessus.

Le secteur informel dans les rues : sauvetteurs, call box etc.

[…] Les très petites entreprises et petites n’ont réalisé que 15,4 % du chiffre d’affaires total, mais offrent 47,7 % des emplois permanents […]
Cette faible capacité d’absorption des entreprises camerounaises, ainsi que l’Etat est révélatrice de la fragilité de la fragilité du secteur moderne et de son incapacité à créer des emplois salariés décents pour la majorité de a population active qui trouve finalement refuge dans le secteur informel en exerçant des activités précaires et dégradantes. »

extraits d'un article de Hervé B. Endong

vendredi 19 novembre 2010

Bien mal acquis qui croyait prendre...

A Yaoundé, il y a une véritable floraison d’immeubles, un vrai boom, un bourgeonnement sur toutes les collines de constructions ambitieuses : plusieurs étages, une architecture souvent complexe avec des colonnes, des terrasses en surplomb. Pourtant, depuis un an, rares sont les chantiers qui se terminent. 


 

Parfois même, en pleine nuit, un éboulis fracassant réveille un quartier en sursaut : un bâtiment fraîchement « poussé » vient de s’écrouler !  L’un deux, près de chez moi, a tout de même réussi à garder un morceau de sa carcasse debout : une cage d’escalier reste, intacte, dans les gravas. Tout un symbole...


On murmure qu’à l’approche des présidentielles au Cameroun, en novembre 2011, nombreux sont ceux qui investissent dans l’immobilier, le plus vite possible, aux dépens des normes de sécurité élémentaires ou des règles basiques de l’offre et de la demande. Pourquoi ? L’argent, une fois dépensé, ne risque pas d’être confisqué et la pierre reste muette, peut-être… 



D’où viennent ces bâtisses, qui en sont les promoteurs, les propriétaires ? On a quelques indices... Il y a quelque temps, le Cameroon Tribune publiait une liste des d’immeubles devant être soumis à un contrôle. Les noms des propriétaires concernés ont été également publiés … Un arbre qui cache la forêt.

 Après la fameuse « opération épervier »* lancée par le président Paul Biya suite aux troubles sociaux de 2008, et alors que le pays s'approche d'une nouvelle échéance, il y a du remous, du chantier. Cependant les lois de la gravitation pourraient jouer  des tours aux plus pressés. 

*(une vaste opération très médiatisée visant à poursuivre en justice les profiteurs au pouvoir et à démanteler des réseaux de corruption – une opération d'épuration politique, selon le point de vue)

Voir : ce que l'on entend par "bien mal acquis" (suite à la plainte de Transparence International sur les "biens" , en France, de certains dirigeants africains)

samedi 13 novembre 2010

Lu dans la presse camerounaise cette semaine

 Quotidien Le Jour, 11 novembre 2010
"Transes au lycée de Campo"



"Depuis deux semaines, une vingtaine d'élèves sont tombés en transe au lycée de Campo, un arrondissement de l'Océan frontalier de la Guinée Équatoriale. Le sous-préfet, Gaston Messi, débordé par les plaintes des parents d'élèves a finalement cédé à une pression : un marabout pour exorciser le lycée. Biya, le marabout du village Bibabiboto a ainsi été sollicité de fait de ses prouesses magiques. En présence des autorités locales et d'une foule médusée, il fera une véritable chasse à la sorcière toute la nuit de lundi à mardi [...] Dans son spectacle, il finira par déterrer un box dans la cour du lycée, source selon lui, d'influences maléfiques sur les élèves, pointant un doigt accusateur sur le proviseur du lycée. "C'est le patron de cet établissement qui envoûte les élèves ; il détient par ailleurs une mallette en or ayant un rayonnement magique extraordinaire" [...]

Le lendemain, plusieurs personnes ont contesté la découverte du marabout, indiquant que ce box appartenait à une vendeuse de beignet. Le sous-préfet a convoqué une réunion de crise, il a demandé au curé de Campo de dire, mercredi prochain, une messe au lycée pour ramener la sérénité et, si possible, chasser les esprits responsables de ce comportement"

Joseph Abena Abena

jeudi 11 novembre 2010

Peaux et Masques

En 1952, Frantz Fanon, un psychiatre martiniquais, publie son célèbre essai : Peaux Noires, Masques Blancs, dans lequel il analyse les traumatismes infligés par le colonialisme sur le psychisme des hommes et des femmes noires. Il fait état des meurtrissures et des névroses, liées à la couleur de peau et à ce qu'elle représente. La peau noire est le vêtement biologique d'une identité en souffrance. Ainsi, mentionne Frantz Fanon, « La civilisation blanche, la culture européenne ont imposé au Noir une déviation existentielle », qui le pousse à vouloir ressembler au Blanc – et à la civilisation même qui a déconstruit la sienne.


Ce livre est paru dans un monde colonisé. Il est aujourd’hui un ouvrage de référence et a inspiré de nombreux penseurs. Depuis des décennies se sont écoulées… Cependant, lorsque j’arrive au Cameroun en 2009, je suis confrontée à cette question de couleur de peau et d'identité en permanence. Ici, on « whitise » : c’est lorsque les black parlent, mangent, marchent comme des white. Ici, on se moque un peu de ceux -ci car le naturel revient au galop : il suffit de peu (un mot de patois, une attitude) pour qu’ils soient démasqués et réinvestissent leurs peaux d'africains. 

A l’inverse, on m’a complimentée lorsque je me suis « camerounisée ». Lorsque je grille une priorité en voiture ou que je marchande sans relâche le prix d’un poisson braisé, c’est que, ékyé, j’ai déjà appris. Je ne suis pas encore une Atangana. Pour cela, « il faut durer », être en Afrique depuis longtemps, connaître toutes les ficelles, se « débrouiller » comme une africaine. Les Atangana ont déteint, mais ils en sont fiers : cela veut dire qu'ils sont adoptés (adaptés?).
 Je crois qu’auparavant, je n’avais jamais été consciente de ma couleur de peau. Ici pourtant, c’est un choc lorsqu’on me le rappelle chaque jour dans la rue, au marché, dans les taxis. On m’appelle « la blanche », de manière sympathique ou cinglante, c’est selon. Mais on m’appelle aussi « Madame » - en signe de déférence exagérée- bien plus souvent qu’à mon tour. Ou encore, dans les villages, « Maman ou Tata », titres de respect qui ne devraient pas m’être décerné par des plus âgés que moi... et pourtant.  Bref, je ne suis jamais considérée d’égal à égal – chose dont j’avais le plus souvent l’habitude en vivant en France.  

De nombreuses camerounaises se décapent la peau avec des produits violents pour blanchir, et les femmes blanches vont bronzer pour brunir… En arrivant au Cameroun, je prends conscience que nous avons tous des peaux et masques interchangeables et pourtant difficile à partager. C’est mon premier décalage, pour lequel j’ai eu bien du mal à me rééquilibrer.