Décaler : (v. tr.) - Enlever la cale à ; changer l'équilibre, l'aplomb .

/ Vivre à l'étranger, c'est larguer les amarres et expérimenter le décalage / Ailleurs, on se trouve dans une posture délicate, il faut apprendre à ajuster son regard, rééquilibrer sa pensée / S'adapter et s'intégrer... / Ce blog est le fruit de mes interrogations perpétuelles, de mon regard français qui se promène sur le Cameroun, toujours un peu décalé.

dimanche 28 novembre 2010

L’Appel du peuple : la campagne des présidentielles 2011 en marche

Comme je l’ai déjà mentionné sur ce blog, le Cameroun se prépare aux élections présidentielles, en novembre 2011. Pour rappel, le président actuel, Paul Biya, a pris ses fonctions en 1982. En 2008, il a changé la constitution, qui limitait le nombre des mandats présidentiels, afin de pouvoir se représenter en 2011 – un geste démocratique, avait-il alors précisé. Le choix du peuple ne devrait pas être entravé par un verrou constitutionnel (sic).

La rhétorique est simple : c’est parce qu’il respecte la liberté et la volonté massive de son peuple que Son Excellence Paul Biya doit se présenter en 2011. Encore faut-il s’en convaincre …  Qu’à cela ne tienne : « L’appel du peuple », volumes 1 et 2, deux pavés de plus de 300 pages sont parus dernièrement (en décembre 2009 et en mars 2010). Ils rassemblent toutes les motions de soutien adressées au président, valorisant son œuvre et contestant les attaques qu’il a subi ces dernières années (notamment sur sa fortune personnelle, les fameux « biens mal acquis » pour lesquels il vient d’être poursuivi en France). Un troisième volume est en préparation. Cette imposante littérature se veut représentative de la société camerounaise dans son ensemble, toutes ethnies, confessions et obédiences confondues.  Noir sur blanc, gravée dans le marbre, s’élève la voix de la raison populaire.


Présentation officielle, lectures publiques, conférences, et affiches 4x3 dans la ville : la promotion de l’ouvrage est sérieuse. Il faut préciser également que les éditions SOPECAM ,qui ont publié cet ouvrage, sont l’organe de presse officiel, levier incontournable du RDPC (le parti au pouvoir). Dans un communiqué officiel, disponible sur le site du RDPC, l’on apprend qu’en tant qu’ « entreprise citoyenne, la Société de presse et d’édition du Cameroun (SOPECAM) ne pouvait demeurer indifférente et se mettre en marge d’un courant populaire qui s’exprime avec une telle persistance à la face du monde »…

Il est assez incroyable, pour moi, d’observer la mise en place massive et ostensiblement téléguidée d’une campagne présidentielle au Cameroun. Les partis d’opposition sont pléthores, et obtiennent des financements de campagnes sans conditions. Cependant, ils sont, à ce jour, invisibles et inaudibles, tandis que la machine RDPC pose ses premiers jalons en justifiant précisément d’ une « prise de parole engagée, déterminée, libre, lucide, authentique et sans équivoque du peuple camerounais (…) dans le débat politique dans notre pays »  (communiqué officiel : « L’appel du peuple, l’expression de la légitimité », site web du RDPC).

mardi 23 novembre 2010

Lu dans la presse camerounaise cette semaine

La Nouvelle Expression, Mardi 16 Novembre 2010
Moins de 600 000 travailleurs permanents au Cameroun …

… Sur une population active estimée à plus de dix millions de personnes en 2009. Avec moins de 390 000 emplois, les entreprises révèlent leur incapacité à créer plus d’emplois. Même constatation pour l’Etat qui compte moins de 200 000 agents.

« Les entreprises recensées lors du dernier recensement général des entreprises (rge) organisé en 2009 emploient seulement 386 263 travailleurs permanents. Parmi eux, 281 972 sont des hommes (73%) et 104 291 sont des femmes (27%). […]
La même constatation est dégagée par l’Institut national de la statistique (Ins) […] : « Même en y ajoutant les 43 495 emplis temporaires recensées, on obtient que 429 758 emplois dans le secteur des entreprises, soit 4,3% de la population active estimée à près de 10 millions de personnes en 2009 »
La même constatation, les mêmes critiques valent pour le secteur public qui n’emploie que 196 056 personnes, même si l’Ins passe vite dessus.

Le secteur informel dans les rues : sauvetteurs, call box etc.

[…] Les très petites entreprises et petites n’ont réalisé que 15,4 % du chiffre d’affaires total, mais offrent 47,7 % des emplois permanents […]
Cette faible capacité d’absorption des entreprises camerounaises, ainsi que l’Etat est révélatrice de la fragilité de la fragilité du secteur moderne et de son incapacité à créer des emplois salariés décents pour la majorité de a population active qui trouve finalement refuge dans le secteur informel en exerçant des activités précaires et dégradantes. »

extraits d'un article de Hervé B. Endong

vendredi 19 novembre 2010

Bien mal acquis qui croyait prendre...

A Yaoundé, il y a une véritable floraison d’immeubles, un vrai boom, un bourgeonnement sur toutes les collines de constructions ambitieuses : plusieurs étages, une architecture souvent complexe avec des colonnes, des terrasses en surplomb. Pourtant, depuis un an, rares sont les chantiers qui se terminent. 


 

Parfois même, en pleine nuit, un éboulis fracassant réveille un quartier en sursaut : un bâtiment fraîchement « poussé » vient de s’écrouler !  L’un deux, près de chez moi, a tout de même réussi à garder un morceau de sa carcasse debout : une cage d’escalier reste, intacte, dans les gravas. Tout un symbole...


On murmure qu’à l’approche des présidentielles au Cameroun, en novembre 2011, nombreux sont ceux qui investissent dans l’immobilier, le plus vite possible, aux dépens des normes de sécurité élémentaires ou des règles basiques de l’offre et de la demande. Pourquoi ? L’argent, une fois dépensé, ne risque pas d’être confisqué et la pierre reste muette, peut-être… 



D’où viennent ces bâtisses, qui en sont les promoteurs, les propriétaires ? On a quelques indices... Il y a quelque temps, le Cameroon Tribune publiait une liste des d’immeubles devant être soumis à un contrôle. Les noms des propriétaires concernés ont été également publiés … Un arbre qui cache la forêt.

 Après la fameuse « opération épervier »* lancée par le président Paul Biya suite aux troubles sociaux de 2008, et alors que le pays s'approche d'une nouvelle échéance, il y a du remous, du chantier. Cependant les lois de la gravitation pourraient jouer  des tours aux plus pressés. 

*(une vaste opération très médiatisée visant à poursuivre en justice les profiteurs au pouvoir et à démanteler des réseaux de corruption – une opération d'épuration politique, selon le point de vue)

Voir : ce que l'on entend par "bien mal acquis" (suite à la plainte de Transparence International sur les "biens" , en France, de certains dirigeants africains)

samedi 13 novembre 2010

Lu dans la presse camerounaise cette semaine

 Quotidien Le Jour, 11 novembre 2010
"Transes au lycée de Campo"



"Depuis deux semaines, une vingtaine d'élèves sont tombés en transe au lycée de Campo, un arrondissement de l'Océan frontalier de la Guinée Équatoriale. Le sous-préfet, Gaston Messi, débordé par les plaintes des parents d'élèves a finalement cédé à une pression : un marabout pour exorciser le lycée. Biya, le marabout du village Bibabiboto a ainsi été sollicité de fait de ses prouesses magiques. En présence des autorités locales et d'une foule médusée, il fera une véritable chasse à la sorcière toute la nuit de lundi à mardi [...] Dans son spectacle, il finira par déterrer un box dans la cour du lycée, source selon lui, d'influences maléfiques sur les élèves, pointant un doigt accusateur sur le proviseur du lycée. "C'est le patron de cet établissement qui envoûte les élèves ; il détient par ailleurs une mallette en or ayant un rayonnement magique extraordinaire" [...]

Le lendemain, plusieurs personnes ont contesté la découverte du marabout, indiquant que ce box appartenait à une vendeuse de beignet. Le sous-préfet a convoqué une réunion de crise, il a demandé au curé de Campo de dire, mercredi prochain, une messe au lycée pour ramener la sérénité et, si possible, chasser les esprits responsables de ce comportement"

Joseph Abena Abena

jeudi 11 novembre 2010

Peaux et Masques

En 1952, Frantz Fanon, un psychiatre martiniquais, publie son célèbre essai : Peaux Noires, Masques Blancs, dans lequel il analyse les traumatismes infligés par le colonialisme sur le psychisme des hommes et des femmes noires. Il fait état des meurtrissures et des névroses, liées à la couleur de peau et à ce qu'elle représente. La peau noire est le vêtement biologique d'une identité en souffrance. Ainsi, mentionne Frantz Fanon, « La civilisation blanche, la culture européenne ont imposé au Noir une déviation existentielle », qui le pousse à vouloir ressembler au Blanc – et à la civilisation même qui a déconstruit la sienne.


Ce livre est paru dans un monde colonisé. Il est aujourd’hui un ouvrage de référence et a inspiré de nombreux penseurs. Depuis des décennies se sont écoulées… Cependant, lorsque j’arrive au Cameroun en 2009, je suis confrontée à cette question de couleur de peau et d'identité en permanence. Ici, on « whitise » : c’est lorsque les black parlent, mangent, marchent comme des white. Ici, on se moque un peu de ceux -ci car le naturel revient au galop : il suffit de peu (un mot de patois, une attitude) pour qu’ils soient démasqués et réinvestissent leurs peaux d'africains. 

A l’inverse, on m’a complimentée lorsque je me suis « camerounisée ». Lorsque je grille une priorité en voiture ou que je marchande sans relâche le prix d’un poisson braisé, c’est que, ékyé, j’ai déjà appris. Je ne suis pas encore une Atangana. Pour cela, « il faut durer », être en Afrique depuis longtemps, connaître toutes les ficelles, se « débrouiller » comme une africaine. Les Atangana ont déteint, mais ils en sont fiers : cela veut dire qu'ils sont adoptés (adaptés?).
 Je crois qu’auparavant, je n’avais jamais été consciente de ma couleur de peau. Ici pourtant, c’est un choc lorsqu’on me le rappelle chaque jour dans la rue, au marché, dans les taxis. On m’appelle « la blanche », de manière sympathique ou cinglante, c’est selon. Mais on m’appelle aussi « Madame » - en signe de déférence exagérée- bien plus souvent qu’à mon tour. Ou encore, dans les villages, « Maman ou Tata », titres de respect qui ne devraient pas m’être décerné par des plus âgés que moi... et pourtant.  Bref, je ne suis jamais considérée d’égal à égal – chose dont j’avais le plus souvent l’habitude en vivant en France.  

De nombreuses camerounaises se décapent la peau avec des produits violents pour blanchir, et les femmes blanches vont bronzer pour brunir… En arrivant au Cameroun, je prends conscience que nous avons tous des peaux et masques interchangeables et pourtant difficile à partager. C’est mon premier décalage, pour lequel j’ai eu bien du mal à me rééquilibrer.