Décaler : (v. tr.) - Enlever la cale à ; changer l'équilibre, l'aplomb .

/ Vivre à l'étranger, c'est larguer les amarres et expérimenter le décalage / Ailleurs, on se trouve dans une posture délicate, il faut apprendre à ajuster son regard, rééquilibrer sa pensée / S'adapter et s'intégrer... / Ce blog est le fruit de mes interrogations perpétuelles, de mon regard français qui se promène sur le Cameroun, toujours un peu décalé.

samedi 15 janvier 2011

Haro sur les homos en Afrique

Au Cameroun, dans la rue, il n’est pas rare de voir deux hommes marcher main dans la main. Est-ce un couple ? Certainement pas répond-t-on horrifié, ici c’est simplement un signe d’amitié et fi de l’homosexualité ! Les homos, on ne les voit jamais et on les entend peu, et pour cause : selon l’article 347 bis du code pénal camerounais, « Est puni d’un emprisonnement de six mois à cinq ans et d’une amende de 20.000 à 200.000 francs [CFA, ndlr] toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe ». L’UE vient de financer un projet qui défend les minorités sexuelles au Cameroun. On l’accuse d’être hors la loi.

Homosexualité, crimes et châtiments

En novembre 2010,  l’ONG Human Rights Watch a publié deux rapports alarmants sur la situation des LGBT [lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres, ndlr] dans deux pays d’Afrique : Craindre pour sa vie, violences contre les hommes gays et perçus comme tels au Sénégal et Criminalisation des identités, atteintes aux droits humains au Cameroun fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Les deux rapports recueillent des témoignages et analysent des faits similaires : arrestations arbitraires, passage à tabac, maltraitance et manque de soins médicaux dans les prisons, stigmatisation et rejet par la société. Les préjugés et la discrimination à l’encontre des homosexuels (ou perçus comme tels) se fondent bien souvent sur la condamnation d’une manière d’être, de se comporter. Les personnes qui n’adoptent pas une attitude « typiquement féminine » ou masculine sont suspectées, ostracisées, parfois même dénoncées. Un homme sénégalais témoigne : « En fait, ils ne m'ont pas pris en train d'avoir des relations sexuelles mais l'ont déduit à partir du lieu où je me trouvais et de la manière dont j'étais habillé. Ils m'ont déshabillé et m'ont frappé. Je suis resté en détention pendant deux mois» (in Craindre pour sa vie)

Le phénomène des « outing »

Cette homophobie omniprésente peut prendre ainsi des contours irrationnels : les homosexuels sont accusés de pratiques sataniques, et on les soupçonne de faire partie de sectes occultes ou de loges maçonniques toutes puissantes. Ainsi, en 2006, un scandale éclate au Cameroun lorsqu’un journaliste de La Météo publie une liste d’homosexuels présumés, assumant tous des fonctions importantes au sein du gouvernement. La presse se déchaîne et alimente le brasier, gonflant la liste, incriminant d’autres personnalités publiques sans pourtant appuyer leurs allégations sur des faits précis. La rumeur enfle et fait feu de tout bois. Les ventes montent en flèche lorsque l’Anecdote fait paraître sa Une flamboyante : « le Top 50 des homosexuels présumés du Cameroun », suivie par la Nouvelle Afrique qui dévoile pour sa part « la liste des pédés ». L’homosexualité apparaît alors comme une sorte d’outre malfaisante, dans laquelle se fourvoient les ennemis du peuple, les corrompus, les cooptés, les bandits du pouvoir : dans tout le pays, on parle « d’homocratie ». Aujourd’hui, plus de quatre ans après ce phénomène des outing, on parle encore de ces listes avec un air mi-figue mi-raisin. Marine, étudiante en droit à l’université de Yaoundé, avoue que c’est « exagéré », mais confie qu’un de ces professeurs a établi, lors d’un cours dans un amphithéâtre, que certains entrent en politique par la voie de l’homosexualité…


L’Union Européene lance le « paemh » dans la mare

À la suite de son appel à propositions pour défendre les droits des personnes vulnérables et stigmatisées, l’Union Européenne a accepté de financer un projet d’aide et d’encadrement aux minorités sexuelles : le paemh (au départ le projet devait précisément porter sur les minorités homosexuelles, mais - politiquement correct oblige- le projet a changé d’intitulé à la dernière minute). Le journal Le Jour a révélé que ce projet dispose d’un budget de 300 000 euros [200 millions de FCFA] et vise à appuyer les actions de trois associations camerounaises : le sidado, le cofenho (collectif des familles d’enfants homosexuels) et l’adefho (association de défense des homosexuels). Le paemh a notamment pour but de sensibiliser l’opinion publique aux questions liées aux minorités sexuelles, de contribuer à réduire les interpellations abusives et également d’apporter aux détenus accusés d’homosexualité une assistance matérielle, judiciaire et médicale. Tout cela reste vague mais inutile de demander des précisions : l’Union Européenne a verrouillé ses communications, et les responsables du projet ont l’interdiction formelle d’en parler aux journalistes. Le  paemh touche un sujet à ce point impopulaire que l’UE espère un plop discret, plutôt qu’un éclat retentissant…

Tirs croisés

Il faut dire également que le courageux paemh rencontre dès sa naissance de nombreuses hostilités : Maître Alice Nkom, avocate œuvrant depuis longtemps pour la défense des homosexuels et présidente de l’adefho, a déclaré au journal Têtu avoir reçu des menaces de mort depuis l’annonce du projet ; et pourrait être passible d’emprisonnement pour avoir demandé le soutien de l’UE sur un projet qui remet en cause la loi 347 bis. D’autre part, une certaine presse accuse également l’UE d’agir hors la loi et contre la souveraineté de l’Etat. Le Journal l’Anecdote (encore lui !) remet sur table l’idée d’un complot homosexuel. Extrait d’un article du 12 janvier 2011: « S'agit-il d'une campagne de lobbying qui vise à une déréglementation d'une société qui se veut pourtant émergente à tout point de vue ? » Sur la toile, un article d’un journaliste et porte-parole du Rassemblement de la jeunesse Camerounaise (Rjc), circule : Cameroun, L'Union Européenne finance l'homosexualité: Financement de l'illégalité. Sur le blog de la Rjc, un billet haineux appelle à une fatwa contre les homosexuels et rappelle que chacun doit rester chez soi : « Zemmour dénonce la polygamie en France. D'accord, il a raison, c'est la loi en France, c'est leur culture. Chez nous aussi, un homme n'encule pas un autre, c'est la loi, c'est notre culture, respectez-la. Respectez nos valeurs, et gardez les vôtres. » - Édifiant…
A cela, Stéphane Koche, le coordinateur du paemh, avait déjà répondu dans une précédente interview : « Quand nous avons commencé ce combat, l’Union Européenne n’était pas là. Nous avons mené ce combat parce que des Camerounais souffrent de cette exclusion dans leur pays. Donc, ce n’est pas une dynamique qui vient de l’extérieur. […] Quand nous avons commencé ce combat, la question était taboue. Elle l’est encore mais aujourd’hui, on en débat plus facilement. On peut ne plus se cacher et parler de la question. Ça prouve qu’il y a au moins un pas qui est en train d’être franchi dans les mentalités. Il y a des gens qui comprennent quand on prend le temps de leur expliquer et qui vous remercient au demeurant. Il y a, dans notre pays, des autorités qui ne savent pas que des personnes sont discriminées sur la base de leur orientation sexuelle. Et ça, ce sont des gens sur lesquels nous pouvons nous appuyer pour mener nos activités de plaidoyer. »

samedi 1 janvier 2011

Poulet villageois et vin de palme : joyeux Noël d’Afrique !

Il fait environ 38 degrés à Yaoundé, l’Harmattan a déposé sa brume de sable sur la ville, la lumière est blanche et sèche, on met la climatisation et les ventilateurs dès qu’on peut… Bref, dans l’esprit formaté à l’Européenne, on est loin de Noël et du règne des basses températures. Pourtant, même à quelques pas de l’équateur, Noël se décline toujours selon les mêmes artifices : dans les embouteillages, entre deux Toyota jaunes -les taxis camerounais-, on voit dépasser des pointes  scintillantes et enguirlandées de nos sapins hivernaux. Les vendeurs à la sauvette se faufilent dans la circulation, avec des kilos de boules de Noël pendus à chaque bras, des guirlandes en collier … et des arbres décorés perchés sur la tête.

Sapins Chinois …

Ceux-là sont des sapins en plastique, des « chinoiseries » vendues au marché central à 20 000 FCFA (=30 euros). Les vendeurs les arrangent un peu, y ajoutent quelques fioritures et les revendent à 35 000 FCFA (=53 euros). Enfin, c’est que Joël – sur la photo- m’a dit ! Le lendemain, dans un autre quartier, on me proposait un tarif bien moindre, pour le même objet ! Dans les grands magasins (je parle des quelques supermarchés qui ont pignon sur rue), ce n’est pas la même histoire : j’ai vu une semblable « chinoiserie », parée d’une belle guirlande électrique étiquetée à 225 000 FCFA (soit, attendez que je recompte, 343 euros !!!). Un business tous azimuts, en quelque sorte.

Ici, Noël, c’est comme partout : c’est sacré, mais c’est aussi une grande fête de la consommation. Depuis quelques jours, la ville est engorgée : c’est la période des courses, et un grand nombre d’habitants viennent chercher au centre ce qu’ils ne peuvent pas trouver ailleurs : les jouets pour les enfants, les vêtements, les chocolats … « Les gens s’endettent à Noël », me dit Gladys, une amie camerounaise, « même s’ils n’ont pas beaucoup de moyens, il faut quand même dépenser ! Parfois, certains font des folies et le début d’année est très dur ensuite ! »

Noël, c’est aussi la période « des bandits » : les citadins qui rentrent à la campagne avec leurs économies suscitent des convoitises : des bandes organisées de détrousseurs, les « coupeurs de route » sévissent dans le Nord du pays, et particulièrement pendant les fêtes. Et les petits larcins sont plus nombreux en ce moment : « les gens cherchent l’argent par tous les moyens ! », entend-t-on souvent.




…et spéculation avicole

Sur les marchés, le prix des aliments flambe. Celles qui ont bien prévu leur coup ont fait leurs provisions il y a longtemps… Histoire de ne pas se laisser surprendre par la subite survalorisation de la tomate. Le cours du poulet fait l’objet d’une attention toute particulière : il remplace notre dinde de Noël. Du coup, afin d’éviter un éventuel krach de la volaille, l’interprofession avicole du Cameroun (IPAVIC) et le ministère du commerce ont lancé cette semaine une foire aux poulets, avec des prix fixés au kilo. Le poids, la taille et la qualité des poulets mis en vente à la veille de Noël fait l’objet de récriminations et de controverses : « c’est des pigeons ? » , s’exclame une femme devant un étal un peu trop maigre à son goût. La presse s’y met également, et s’interroge : « Y aura-t-il du poulet dans nos plats de fêtes de Noël ? » ( Journal du cameroun.com) - histoire que les ménagères affairées sachent à quoi s’attendre…

… pour un Marché de Noël africanisé

Dans la ville, des décorations lumineuses ornent les palmiers et de petits rennes clignotants brillent dans la végétation équatoriale. La grosse tendance fashion en ce moment, c’est bonnet du père Noël : il s’accorde aussi bien avec la petite robe à fleurs qu’avec la tenue de travail du pompiste et du caissier, à Yaoundé. Pour ambiancer les rues et attirer le chaland, les boutiques poussent leurs enceintes au maximum, créant ainsi une cacophonie générale. Le « diktat du bruit dans les fêtes de fin d’année » va rendre les gens sourds, rapporte le Cameroon Tribune.  Le soir, la grande avenue de Yaoundé devient piétonne : les commerçants de la ville ont loué des échoppes pour y vendre leurs produits. Si la formule est la même que son ancêtre allemand, le «marché de la Saint Nicolas »,  l’organisatrice du marché de Noël de Yaoundé, insiste sur « l’africanisation du concept » (« le Marché de Noël arrive », Cameroon Tribune)

Le père Noël peut donc délaisser sa fourrure, sa bouteille de coca-cola, et ses « jingle bells » : ici, ce sera chemisette, vin de palme et bikutsi ici ! Joyeux Noël à tous !