Décaler : (v. tr.) - Enlever la cale à ; changer l'équilibre, l'aplomb .

/ Vivre à l'étranger, c'est larguer les amarres et expérimenter le décalage / Ailleurs, on se trouve dans une posture délicate, il faut apprendre à ajuster son regard, rééquilibrer sa pensée / S'adapter et s'intégrer... / Ce blog est le fruit de mes interrogations perpétuelles, de mon regard français qui se promène sur le Cameroun, toujours un peu décalé.

dimanche 13 mars 2011

Après la révolution du jasmin, la révolution du baobab au Cameroun ?

 L’incroyable renversement de situation en Tunisie, puis les soulèvements en Egypte : scénarios à perdre haleine qui conduisent à la défection de deux indétrônables dictateurs d’Afrique du Nord… L’espoir gagne les pays voisins, les peuples qui n’ont pas voix au chapitre depuis trop longtemps. Et plus au Sud ? Vers l’Afrique subsaharienne, où depuis tant d’années on parle de démocratures, de gouvernements – marionnettes du néocolonialisme, d’abus de pouvoir si énormes que l’on soupçonne Paul Biya d’avoir acheté l’équivalent du Château de la Loire en Suisse - vers le sud donc, que ressent-on ? Certains espèrent une contagion, que l’onde de choc se propage. Pas si vite.

Commémorer les émeutes de 2008

Le 23 février dernier, l’ambiance dans les grandes villes du Cameroun était un peu tendue : les forces armées étaient déployées dans les endroits stratégiques, les kiosques à journaux de désemplissaient pas de curieux qui venaient suivre les gros titres, inquiets. On pouvait lire, en Une du quotidien Mutations : « Manifestation publique, journée à haut risque au Cameroun »,  tandis que Le Journal du Cameroun titrait : « Le gouvernement invite au calme ». En effet, les partis d’opposition (à leur tête Jean-Michel Nintcheu du Sdf et Anicet Ekane du Manidem) avaient lancé des appels à manifestations pour commémorer les émeutes de 2008. 
[Petit Rappel : en 2008, la crise économique frappe le Cameroun et le gouvernement impose une hausse significative des prix des carburants et de la plupart des produits de première nécessité. Les « émeutes de la faim » éclatent dans les grandes villes, se terminant par une répression dure qui fait plus d’une centaine de morts.]
Ailleurs dans le monde, des camerounais expatriés invitent à suivre l’exemple des révolutions populaires d’Afrique du Nord. Le CODE (Collectif des associations démocratiques et patriotiques des Camerounais de la diaspora) diffuse le mot d’ordre : « Paul Biya dégage », tandis que la Cameroon Diaspora Connection diffuse sur le net un photomontage de mauvaise qualité sur fond de reggae qui suggère une « révolution du Baobab ». (voir le clip). Le site d’informations Ici Cemac publie quant à lui les « 12 consignes pour le succès de la marche » et annonce que le 23 février 2011 sera le début de « la révolution pacifique du peuple camerounais ».
A cette occasion, l’on se rend compte que le Cameroun bénéficie tout de même d’une certaine liberté d’expression : sur internet et dans la presse, il n’y a pas de tabous à mentionner les malversations du pouvoir en place et à haranguer les foules. Il y a, au « Mboa », un potentiel de subversion non négligeable … même si, il faut le rappeler, certains opposants ou journalistes engagés croupissent et meurent en prison !



Pétard mouillé

En tout cas, le 23 février, l’on retient un peu son souffle. A Douala, « la semaine des martyrs » rencontre quelques échos : des manifestants ont été dispersés, arrêtés, voire brutalisés par la police, selon plusieurs sources. La réaction immédiate des forces de l’ordre décourage les manifestants de poursuivre leur action et le meeting du 24 février est annulé. A Yaoundé, « la mayonnaise peine à prendre », comme le suggère le journal Le Pays. Il semble que la campagne rondement menée par le ministre de la Communication, Issa Tchiroma, porte ses fruits : il enjoint le peuple camerounais à rester sourd aux appels à manifestations, discréditant les arguments des opposants. Selon lui, la révolution a déjà eu lieu au Cameroun et il met en garde contre une identification trop rapide aux révolutions du Maghreb : « 
En Afrique du Nord, la situation n’était pas la même. Ce n’est que maintenant que le vent du changement souffle là-bas. Il y a vingt ans que nous avons conduit cette révolution. Il faut savoir lire l’évolution de l’humanité. Ce qui se passe là-bas s’est déjà passé chez nous», a martelé le ministre. Pour M. Tchiroma, «ces aventuriers» veulent condamner le Cameroun à «l’effort de Sisyphe, un éternel recommencement. Notre pays n’a jamais été autant crédible qu’aujourd’hui. Sa stabilité est confirmée par les institutions financières internationales. La paix au Cameroun est devenue une culture». (source : Mutations).
Voilà donc sur quoi repose la stabilité du Cameroun aujourd’hui : l’idée que la «  révolution » économique et la marche vers le progrès ont déjà eu lieu sous la houlette du pouvoir en place, et l’idée d’une paix à tout prix, profondément incarnée par la pérennité du président.

La Tunisie, passe encore, mais laissons Kadhafi en Libye !

Et en effet, il est finalement étonnant de constater à quel point les révolutions du Maghreb, qui exaltent pourtant une bonne partie de la planète, laissent froids la plupart des camerounais. Si l’exemple de la Tunisie était vu avec une certaine admiration mêlée de perplexité, la « contagion » à l’Egypte, puis à la Libye a provoqué de sérieuses remises en question : finalement, à l’instar de la Côte d’Ivoire, tout cela ne tiendrait-il pas d’une vaste opération fomentée par l’occident pour récupérer le pétrole libyen ? Et surtout, que deviendrait l’Afrique sans les investissements libyens ? En effet de nombreuses entreprises africaines ne doivent leur survie qu’à la prodigalité de Kadhafi, comme le rappelle un article de camer.be. Si Paul Biya n’a pas, comme Wade ou Alpha Condé, exprimé publiquement son soutien à Mouammar Kadhafi ; dans la rue, les Camerounais restent pragmatiques :  lorsque le pétrole est en jeu, les occidentaux ne sont jamais loin. La révolution a bon dos. Au Cameroun, la corde sensible du panafricanisme et le rejet de toute ingérence politique prend le pas sur l’idéal révolutionnaire. N’en déplaise à certains rêveurs, le vent de la révolution du jasmin n’est pas encore venu à bout du désert.



samedi 15 janvier 2011

Haro sur les homos en Afrique

Au Cameroun, dans la rue, il n’est pas rare de voir deux hommes marcher main dans la main. Est-ce un couple ? Certainement pas répond-t-on horrifié, ici c’est simplement un signe d’amitié et fi de l’homosexualité ! Les homos, on ne les voit jamais et on les entend peu, et pour cause : selon l’article 347 bis du code pénal camerounais, « Est puni d’un emprisonnement de six mois à cinq ans et d’une amende de 20.000 à 200.000 francs [CFA, ndlr] toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe ». L’UE vient de financer un projet qui défend les minorités sexuelles au Cameroun. On l’accuse d’être hors la loi.

Homosexualité, crimes et châtiments

En novembre 2010,  l’ONG Human Rights Watch a publié deux rapports alarmants sur la situation des LGBT [lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres, ndlr] dans deux pays d’Afrique : Craindre pour sa vie, violences contre les hommes gays et perçus comme tels au Sénégal et Criminalisation des identités, atteintes aux droits humains au Cameroun fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Les deux rapports recueillent des témoignages et analysent des faits similaires : arrestations arbitraires, passage à tabac, maltraitance et manque de soins médicaux dans les prisons, stigmatisation et rejet par la société. Les préjugés et la discrimination à l’encontre des homosexuels (ou perçus comme tels) se fondent bien souvent sur la condamnation d’une manière d’être, de se comporter. Les personnes qui n’adoptent pas une attitude « typiquement féminine » ou masculine sont suspectées, ostracisées, parfois même dénoncées. Un homme sénégalais témoigne : « En fait, ils ne m'ont pas pris en train d'avoir des relations sexuelles mais l'ont déduit à partir du lieu où je me trouvais et de la manière dont j'étais habillé. Ils m'ont déshabillé et m'ont frappé. Je suis resté en détention pendant deux mois» (in Craindre pour sa vie)

Le phénomène des « outing »

Cette homophobie omniprésente peut prendre ainsi des contours irrationnels : les homosexuels sont accusés de pratiques sataniques, et on les soupçonne de faire partie de sectes occultes ou de loges maçonniques toutes puissantes. Ainsi, en 2006, un scandale éclate au Cameroun lorsqu’un journaliste de La Météo publie une liste d’homosexuels présumés, assumant tous des fonctions importantes au sein du gouvernement. La presse se déchaîne et alimente le brasier, gonflant la liste, incriminant d’autres personnalités publiques sans pourtant appuyer leurs allégations sur des faits précis. La rumeur enfle et fait feu de tout bois. Les ventes montent en flèche lorsque l’Anecdote fait paraître sa Une flamboyante : « le Top 50 des homosexuels présumés du Cameroun », suivie par la Nouvelle Afrique qui dévoile pour sa part « la liste des pédés ». L’homosexualité apparaît alors comme une sorte d’outre malfaisante, dans laquelle se fourvoient les ennemis du peuple, les corrompus, les cooptés, les bandits du pouvoir : dans tout le pays, on parle « d’homocratie ». Aujourd’hui, plus de quatre ans après ce phénomène des outing, on parle encore de ces listes avec un air mi-figue mi-raisin. Marine, étudiante en droit à l’université de Yaoundé, avoue que c’est « exagéré », mais confie qu’un de ces professeurs a établi, lors d’un cours dans un amphithéâtre, que certains entrent en politique par la voie de l’homosexualité…


L’Union Européene lance le « paemh » dans la mare

À la suite de son appel à propositions pour défendre les droits des personnes vulnérables et stigmatisées, l’Union Européenne a accepté de financer un projet d’aide et d’encadrement aux minorités sexuelles : le paemh (au départ le projet devait précisément porter sur les minorités homosexuelles, mais - politiquement correct oblige- le projet a changé d’intitulé à la dernière minute). Le journal Le Jour a révélé que ce projet dispose d’un budget de 300 000 euros [200 millions de FCFA] et vise à appuyer les actions de trois associations camerounaises : le sidado, le cofenho (collectif des familles d’enfants homosexuels) et l’adefho (association de défense des homosexuels). Le paemh a notamment pour but de sensibiliser l’opinion publique aux questions liées aux minorités sexuelles, de contribuer à réduire les interpellations abusives et également d’apporter aux détenus accusés d’homosexualité une assistance matérielle, judiciaire et médicale. Tout cela reste vague mais inutile de demander des précisions : l’Union Européenne a verrouillé ses communications, et les responsables du projet ont l’interdiction formelle d’en parler aux journalistes. Le  paemh touche un sujet à ce point impopulaire que l’UE espère un plop discret, plutôt qu’un éclat retentissant…

Tirs croisés

Il faut dire également que le courageux paemh rencontre dès sa naissance de nombreuses hostilités : Maître Alice Nkom, avocate œuvrant depuis longtemps pour la défense des homosexuels et présidente de l’adefho, a déclaré au journal Têtu avoir reçu des menaces de mort depuis l’annonce du projet ; et pourrait être passible d’emprisonnement pour avoir demandé le soutien de l’UE sur un projet qui remet en cause la loi 347 bis. D’autre part, une certaine presse accuse également l’UE d’agir hors la loi et contre la souveraineté de l’Etat. Le Journal l’Anecdote (encore lui !) remet sur table l’idée d’un complot homosexuel. Extrait d’un article du 12 janvier 2011: « S'agit-il d'une campagne de lobbying qui vise à une déréglementation d'une société qui se veut pourtant émergente à tout point de vue ? » Sur la toile, un article d’un journaliste et porte-parole du Rassemblement de la jeunesse Camerounaise (Rjc), circule : Cameroun, L'Union Européenne finance l'homosexualité: Financement de l'illégalité. Sur le blog de la Rjc, un billet haineux appelle à une fatwa contre les homosexuels et rappelle que chacun doit rester chez soi : « Zemmour dénonce la polygamie en France. D'accord, il a raison, c'est la loi en France, c'est leur culture. Chez nous aussi, un homme n'encule pas un autre, c'est la loi, c'est notre culture, respectez-la. Respectez nos valeurs, et gardez les vôtres. » - Édifiant…
A cela, Stéphane Koche, le coordinateur du paemh, avait déjà répondu dans une précédente interview : « Quand nous avons commencé ce combat, l’Union Européenne n’était pas là. Nous avons mené ce combat parce que des Camerounais souffrent de cette exclusion dans leur pays. Donc, ce n’est pas une dynamique qui vient de l’extérieur. […] Quand nous avons commencé ce combat, la question était taboue. Elle l’est encore mais aujourd’hui, on en débat plus facilement. On peut ne plus se cacher et parler de la question. Ça prouve qu’il y a au moins un pas qui est en train d’être franchi dans les mentalités. Il y a des gens qui comprennent quand on prend le temps de leur expliquer et qui vous remercient au demeurant. Il y a, dans notre pays, des autorités qui ne savent pas que des personnes sont discriminées sur la base de leur orientation sexuelle. Et ça, ce sont des gens sur lesquels nous pouvons nous appuyer pour mener nos activités de plaidoyer. »

samedi 1 janvier 2011

Poulet villageois et vin de palme : joyeux Noël d’Afrique !

Il fait environ 38 degrés à Yaoundé, l’Harmattan a déposé sa brume de sable sur la ville, la lumière est blanche et sèche, on met la climatisation et les ventilateurs dès qu’on peut… Bref, dans l’esprit formaté à l’Européenne, on est loin de Noël et du règne des basses températures. Pourtant, même à quelques pas de l’équateur, Noël se décline toujours selon les mêmes artifices : dans les embouteillages, entre deux Toyota jaunes -les taxis camerounais-, on voit dépasser des pointes  scintillantes et enguirlandées de nos sapins hivernaux. Les vendeurs à la sauvette se faufilent dans la circulation, avec des kilos de boules de Noël pendus à chaque bras, des guirlandes en collier … et des arbres décorés perchés sur la tête.

Sapins Chinois …

Ceux-là sont des sapins en plastique, des « chinoiseries » vendues au marché central à 20 000 FCFA (=30 euros). Les vendeurs les arrangent un peu, y ajoutent quelques fioritures et les revendent à 35 000 FCFA (=53 euros). Enfin, c’est que Joël – sur la photo- m’a dit ! Le lendemain, dans un autre quartier, on me proposait un tarif bien moindre, pour le même objet ! Dans les grands magasins (je parle des quelques supermarchés qui ont pignon sur rue), ce n’est pas la même histoire : j’ai vu une semblable « chinoiserie », parée d’une belle guirlande électrique étiquetée à 225 000 FCFA (soit, attendez que je recompte, 343 euros !!!). Un business tous azimuts, en quelque sorte.

Ici, Noël, c’est comme partout : c’est sacré, mais c’est aussi une grande fête de la consommation. Depuis quelques jours, la ville est engorgée : c’est la période des courses, et un grand nombre d’habitants viennent chercher au centre ce qu’ils ne peuvent pas trouver ailleurs : les jouets pour les enfants, les vêtements, les chocolats … « Les gens s’endettent à Noël », me dit Gladys, une amie camerounaise, « même s’ils n’ont pas beaucoup de moyens, il faut quand même dépenser ! Parfois, certains font des folies et le début d’année est très dur ensuite ! »

Noël, c’est aussi la période « des bandits » : les citadins qui rentrent à la campagne avec leurs économies suscitent des convoitises : des bandes organisées de détrousseurs, les « coupeurs de route » sévissent dans le Nord du pays, et particulièrement pendant les fêtes. Et les petits larcins sont plus nombreux en ce moment : « les gens cherchent l’argent par tous les moyens ! », entend-t-on souvent.




…et spéculation avicole

Sur les marchés, le prix des aliments flambe. Celles qui ont bien prévu leur coup ont fait leurs provisions il y a longtemps… Histoire de ne pas se laisser surprendre par la subite survalorisation de la tomate. Le cours du poulet fait l’objet d’une attention toute particulière : il remplace notre dinde de Noël. Du coup, afin d’éviter un éventuel krach de la volaille, l’interprofession avicole du Cameroun (IPAVIC) et le ministère du commerce ont lancé cette semaine une foire aux poulets, avec des prix fixés au kilo. Le poids, la taille et la qualité des poulets mis en vente à la veille de Noël fait l’objet de récriminations et de controverses : « c’est des pigeons ? » , s’exclame une femme devant un étal un peu trop maigre à son goût. La presse s’y met également, et s’interroge : « Y aura-t-il du poulet dans nos plats de fêtes de Noël ? » ( Journal du cameroun.com) - histoire que les ménagères affairées sachent à quoi s’attendre…

… pour un Marché de Noël africanisé

Dans la ville, des décorations lumineuses ornent les palmiers et de petits rennes clignotants brillent dans la végétation équatoriale. La grosse tendance fashion en ce moment, c’est bonnet du père Noël : il s’accorde aussi bien avec la petite robe à fleurs qu’avec la tenue de travail du pompiste et du caissier, à Yaoundé. Pour ambiancer les rues et attirer le chaland, les boutiques poussent leurs enceintes au maximum, créant ainsi une cacophonie générale. Le « diktat du bruit dans les fêtes de fin d’année » va rendre les gens sourds, rapporte le Cameroon Tribune.  Le soir, la grande avenue de Yaoundé devient piétonne : les commerçants de la ville ont loué des échoppes pour y vendre leurs produits. Si la formule est la même que son ancêtre allemand, le «marché de la Saint Nicolas »,  l’organisatrice du marché de Noël de Yaoundé, insiste sur « l’africanisation du concept » (« le Marché de Noël arrive », Cameroon Tribune)

Le père Noël peut donc délaisser sa fourrure, sa bouteille de coca-cola, et ses « jingle bells » : ici, ce sera chemisette, vin de palme et bikutsi ici ! Joyeux Noël à tous !

samedi 18 décembre 2010

La crise ivoirienne vue du Cameroun : Illusions perdues

Depuis le début des élections en Côte d’Ivoire, les Camerounais sont très attentifs à ce qui se passe chez leur voisin de l’Ouest. Dans les bars, les débats vont bon trains : pro-Gbagbo et pro-Ouattara se lancent dans des diatribes enflammées. Il est question des pratiques politiques, de l’avenir de l’Afrique, mais aussi (et surtout) des futures élections au Cameroun. Les événements en Côte d’Ivoire engagent les citoyens camerounais à des conjectures et des  transpositions : Cameroun - Côte d’Ivoire, même combat ? Alors que le Cameroun se prépare aux présidentielles de 2011, l'identification est forte. Une chose est sûre : vue de France ou vue du Cameroun, la crise ivoirienne n’a pas les mêmes contours et révèle des sensibilités bien différentes. Incursion dans la presse camerounaise, qui offre une autre analyse de la situation, en décalage avec l'information relayée par les médias occidentaux.


Une leçon de démocratie

Fin novembre, le quotidien camerounais Le Jour a publié un dossier : « Election : l’exemple qui vient de la Côte d’Ivoire ». Il est question de la gestion des bureaux de vote en Côte d’Ivoire, des mesures de sécurité et du débat télévisé qui a opposé Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, , le 25 novembre dernier.
Ce face à face historique a été suivi avec intérêt au Cameroun. Selon des témoignages recueillis par Le Jour , la Côte d’Ivoire donne « une leçon de démocratie apaisée, à la face du monde » (Mouhaman Toukour, maire UNDP de Ngaoundéré 2ème). « Laurent Gbagbo, les Ivoiriens et la Côte d'Ivoire ouvrent […] la porte, tracent la voie à suivre par les autres Africains, en inaugurant la pratique du débat contradictoire pour les deux finalistes d'une élection présidentielle.» (Enoh Meyomesse, analyste politique). Le sujet est également un prétexte, pour les hommes politiques camerounais, à formuler des revendications à l’approche des élections présidentielles, prévues fin 2011 : ils dénoncent « le retard » du Cameroun, dont la structuration électorale n’a jamais permis un second tour de scrutin et demandent l’instauration de débats publics, permettant une réelle confrontation du pouvoir en place avec les partis d’opposition. Ils soulignent  le manque de transparence et de neutralité de la structure en charge de l’organisation électorale, Elécam, et demandent une révision de son fonctionnement.


Du grain à moudre

Selon le quotidien Mutations, le modèle ivoirien a généré un élan d’ouverture au sein du parti au pouvoir, le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) : « On peut d’abord considérer que le récent face à face Alassane Ouattara-Laurent Gbagbo, peu avant le second tour de l’élection ivoirienne du 28 novembre dernier, a levé les derniers verrous des caciques et extrémistes du RDPC ». Ainsi, le Président camerounais Paul Biya, semble faire amende honorable et parer aux attaques de ses détracteurs. Pas de dialogue avec l’opposition ? Qu’à cela ne tienne, pour la première fois depuis qu’il est au pouvoir, il a demandé à rencontrer officiellement son principal rival, John Fru Ndi (président du Social Democratic Front). L’entrevue, qui a fait les gorges chaudes de la presse,  a eu lieu à Bamenda le 10 décembre dernier. Ce véritable « coup médiatique», qui fait le jeu de la démocratie, n’est certes étranger à la stratégie préélectorale de Paul Biya, dont la légitimité a été mise à mal suite aux émeutes de février 2008 (qui ont culminé lorsque Paul Biya a annoncé sont projet de modifier la constitution, afin de pouvoir se représenter aux présidentielles de 2011). Mutations ajoute que  « la rencontre de Bamenda pourrait déboucher sur la capacité pour le chef de l’Etat à dépoussiérer les propositions de la Commission Joseph Owona qui, en 1995, […], avait suggéré l’institutionnalisation du statut de l’opposition et de son chef. Parce que l’avenir est imprévisible, et l’histoire impitoyable. »  On ne pouvait mieux dire …

Patatras

… car depuis début décembre, la Côte d’Ivoire qui semblait pourtant si bien partie, se retrouve avec une épée de Damoclès au dessus du drapeau. Au Cameroun, l’opinion publique déchante et se divise. Le journal officiel, le Cameroon Tribune, se perd dans ses déclarations : le jeudi 02 décembre 2010, il titre : « Alassane Ouattara déclaré élu à a présidentielle ivoirienne ». Puis le dimanche 05, il annonce finalement : « Côte d’Ivoire : réélu, Gbagbo prête serment ». Depuis lors, il s’en tient aux faits et au flou institutionnel, tout en regrettant la débâcle qui secoue le pays.
Si la quelques journaux indépendants se rangent  du côté de la Commission Electorale Indépendante (CEI) et de la communauté internationale  - a l’instar du quotidien Mutations, qui dépeint Laurent Gbagbo comme un « bouffon tragique », qui reste « accroché au nationalisme, corde sensible de la population» - le portail d’information Cameroun Actu révèle que dans l’ensemble, « l’opinion publique prend fait et cause pour Laurent Gbagbo », et considère que les institutions occidentales manipulent les opinions et attisent les divisions.
De son côté, l’Union of the populations of Cameroon, (l’UPC, le parti d’opposition historique au Cameroun), appelle les Ivoiriens à soutenir Laurent Gbagbo et en profite pour dénoncer « l’ingérence étrangère qui constitue une atteinte à la souveraineté d’un pays indépendant » (déclaration de l’UPC, 08.12. 2010). Ainsi, à la question de la démocratie, se superpose celle de l’indépendance « réelle » de l’Afrique.  
À ce sujet, La Nouvelle expression  s’interroge :
« Les Africains s’accommodent-ils mal de la démocratie ? […]Ce qui se passe depuis la semaine dernière en Côte d’Ivoire illustre à suffisance des atermoiements des Africains à s’approprier et à implémenter la démocratie occidentale.» La crise en Côte d’Ivoire relève de l’affrontement entre « légitimité » et « légalité », qui oppose, en Afrique, le « chef » et les institutions démocratiques, le modèle traditionnel et le modèle occidental. Finalement, selon La Nouvelle Expression, la Côte d’Ivoire s’est engouffrée la contradiction paradigmatique de la politique africaine.
Du côté du bar de quartier, les discussions vont bel et bien dans ce sens : Guy, chauffeur de taxi, s’anime : « les occidentaux ne viennent là que pour mettre la pagaille ! Et la CEI agit au mépris de la constitution ivoirienne ! » Un autre client de « Chez Isaïe » intervient : « ce qu’il nous faut, chez nous, c’est un pouvoir fort. Le modèle occidental n’est pas bon pour nous, ce qu’il nous faut plutôt, c’est un modèle à la chinoise. C’est pourquoi je pense que Gbagbo ne doit pas céder à la pression internationale. »

Espoir déçu

Toutefois, l’espoir d’un modèle d’élections apaisées, sur lequel le Cameroun pourrait s’inspirer, a fait place à de sombres bilans. « Les plus récentes évolutions sur le terrain (ivoirien, ndlr) ont conduit, hélas ! au désenchantement, à la désillusion. En effet, les Ivoiriens ont incontestablement été rattrapés par les vieux démons de la division, de l’intolérance, du rejet de l’autre. Toutes choses qui font le lit de la violence, de la haine. L’on avait donc jubilé trop tôt ? Assurément ! […] L’image de l’Afrique ne s’en trouve que plus écornée. Atavismes ? Que reste-t-il des engagements pris solennellement aux yeux du monde ? » (Cameroon Tribune, le 03.12.2010). La Côte d’Ivoire sert d’étalon pour mesurer les évolutions de l’Afrique : « La situation en Côte d’Ivoire nous révèle tant de choses sur la fragilité de la réalité de notre continent. […] C’est cette rigidité, cet entêtement qui a été à la source de tant de guerres, de tragédies et de dictatures qui font que l’Afrique n’est pas toujours sortie de l’ornière[…] La grandeur d’âme d’un Mandela reste une denrée rare sur le continent. (« La rigidité de l’africain », Mutations).
Le fatalisme et la déception causés par la crise ivoirienne ne peuvent se lire qu’à l’aune des attentes et de la fébrilité qui se cristallisent autour de la prochaine échéance électorale au Cameroun. Après la crise de 2008, les Camerounais ont conscience de l’enjeu que représentent les élections présidentielles de 2011. Cependant, dans la rue, l’on entend souvent les débats les plus vifs se clorent sur une boutade accablée : « Le changement ?! quel changement ? Laisse ça… »
En tout état de cause, l’interprétation de la crise ivoirienne est radicalement différente sur le continent et la question de la légitimité de Laurent Gbagbo fait écho, au delà des frontières de la Côte d’Ivoire. Les positions de la communauté internationale se heurtent au problème de la souveraineté des Etats africains qui viennent de célébrer le cinquantenaire des indépendances. Ce décalage est ressenti de manière aigue au Cameroun : « Chez Isaïe », où la dernière déclaration de Nicolas Sarkozy à ce sujet est retransmise à la radio, on lève les yeux au ciel…

mardi 14 décembre 2010

Yaoundé Guinguette

Le week-end dernier, virée nocturne à Yaoundé… nous étions invités à la ré-ouverture d’un restaurant, le Sintra, qui fut dans ses heures glorieuses une sorte de « café de Flore » de Yaoundé. Et là, quelle surprise : un accordéoniste dans un coin de salle, des « canons » sur le bord du comptoir, les lumières crues dans le pur style brasserie-choucroute et un buffet cornichon-beurre salé ! L’esprit franchouillard sous les tropiques, ça décape !
L’accordéoniste a été formé à Versailles, par – semble-t-il un as du biniou – il connaît tous les classiques musette du répertoire. Et tous les aficionados d’entamer « la java bleue » !

Comme c’est étrange d’esquisser sans même le vouloir quelques pas de valse dans Yaoundé, le temple du bikutsi, de la bière Castel et des brochettes de bœuf grillées et pimentées… C’est complèment… décalé ! Pourtant, la globalisation, la culture monde, les échanges et les fluxs nous habituent à tout : certains camerounais font du Taï –chi et suivent les aventures de Jack Bauer à la télé, tandis que les parisiennes branchées prennent des cours de flamenco et de danse africaine. J’ai, par ailleurs, déjà pu expérimenter le « brooklyn-guinguette » lors d’un de mes voyages à New York : pour le 14 juillet, certaines rues de Brooklyn sont réinvesties en terrain de pétanque-pastis-balloche !
Je ne devrais pas être surprise d’une semblable transposition à Yaoundé et pourtant… si !

Ca me met même légèrement mal à l’aise, car je me dis que quelques casques de colons plus tôt, ça devait ressembler à ça, Yaoundé by night… dans les beaux quartiers, une brasserie à la française pour venir soigner les nostalgiques et  recueillir l’élite intellectuelle du pays … ceux qui avaient fait leurs études à St Germain des prés. Aujourd’hui, dans les rues, on ne la sent plus tellement cette nostalgie de la culture française… à part peut-être chez quelques irréductibles expatriés. C’est plutôt l’inverse je dirais : un bon nombre de camerounais continuent d’en vouloir à la France à cause de la colonisation bien sûr, mais également à cause de la Françafrique, le bras droit du pouvoir en place… Alors Yaoundé-Guinguette, tout de suite, ça n’a pas le même coté sympa-cocorico qu’à Brooklyn.

Dans le bar, un expatrié vient – en sus de son activité professionnelle- de lancer une petite entreprise : il fait fabriquer des cigares au Cameroun, avec du tabac camerounais qui est paraît-il de très bonne qualité. Il a fait fabriquer deux types de conditionnement: une boîte pour les étrangers qui est labellisée « Cameroun », et une autre boite pour les camerounais qui n’indique pas la provenance du produit et imite le design cubain : " les camerounais ont une telle mauvaise image de leurs pays que sur des produits un peu haut de gamme, ils n’achètent jamais local. Ils préfèrent ce qui est importé." Une stratégie marketing qui en dit long sur le chassé-croisé des représentations et des attentes, et sur les sentiments ambigus qu’entretient le Cameroun avec lui même et avec l’ « ailleurs ».
Yaoundé-Guinguette, dans tout ça, n’a qu’à bien se tenir !


mardi 7 décembre 2010

Culture Pub

Ce week-end, à Foumban, c’était la fête du Nguon, un ensemble de rituels traditionnels du peuple Bamoun. Le Sultan Njoya se montre devant sa cour, et les sujets le destituent temporairement de son pouvoir et viennent l’interpeller, lui présenter leurs doléances et lui soumettre leurs observations.

Tradition et publicité
 
Cette fête traditionnelle était également une fête de la récolte, un moment où les producteurs Bamoun venaient remettre au sultan une part de la récolte, afin que le palais puisse faire des provisions. La fête du Ngouon a été autrefois interdite par les colons français. Elle a été reprise – en symbole de la pérennité de la culture Bamoun – il y a quelques années.

Malheureusement, cet événement, qui a lieu tous les deux ans, a vite été vampirisé par les grands sponsors … Orange, MTN et les concessionnaires se sont glissés dans la fête. Cherchez l’erreur.

Si si, cherchez bien...