Commémorer les émeutes de 2008
Le 23 février dernier, l’ambiance dans les grandes villes du Cameroun était un peu tendue : les forces armées étaient déployées dans les endroits stratégiques, les kiosques à journaux de désemplissaient pas de curieux qui venaient suivre les gros titres, inquiets. On pouvait lire, en Une du quotidien Mutations : « Manifestation publique, journée à haut risque au Cameroun », tandis que Le Journal du Cameroun titrait : « Le gouvernement invite au calme ». En effet, les partis d’opposition (à leur tête Jean-Michel Nintcheu du Sdf et Anicet Ekane du Manidem) avaient lancé des appels à manifestations pour commémorer les émeutes de 2008.
[Petit Rappel : en 2008, la crise économique frappe le Cameroun et le gouvernement impose une hausse significative des prix des carburants et de la plupart des produits de première nécessité. Les « émeutes de la faim » éclatent dans les grandes villes, se terminant par une répression dure qui fait plus d’une centaine de morts.]
Ailleurs dans le monde, des camerounais expatriés invitent à suivre l’exemple des révolutions populaires d’Afrique du Nord. Le CODE (Collectif des associations démocratiques et patriotiques des Camerounais de la diaspora) diffuse le mot d’ordre : « Paul Biya dégage », tandis que la Cameroon Diaspora Connection diffuse sur le net un photomontage de mauvaise qualité sur fond de reggae qui suggère une « révolution du Baobab ». (voir le clip). Le site d’informations Ici Cemac publie quant à lui les « 12 consignes pour le succès de la marche » et annonce que le 23 février 2011 sera le début de « la révolution pacifique du peuple camerounais ».
A cette occasion, l’on se rend compte que le Cameroun bénéficie tout de même d’une certaine liberté d’expression : sur internet et dans la presse, il n’y a pas de tabous à mentionner les malversations du pouvoir en place et à haranguer les foules. Il y a, au « Mboa », un potentiel de subversion non négligeable … même si, il faut le rappeler, certains opposants ou journalistes engagés croupissent et meurent en prison !
Pétard mouillé
En tout cas, le 23 février, l’on retient un peu son souffle. A Douala, « la semaine des martyrs » rencontre quelques échos : des manifestants ont été dispersés, arrêtés, voire brutalisés par la police, selon plusieurs sources. La réaction immédiate des forces de l’ordre décourage les manifestants de poursuivre leur action et le meeting du 24 février est annulé. A Yaoundé, « la mayonnaise peine à prendre », comme le suggère le journal Le Pays. Il semble que la campagne rondement menée par le ministre de la Communication, Issa Tchiroma, porte ses fruits : il enjoint le peuple camerounais à rester sourd aux appels à manifestations, discréditant les arguments des opposants. Selon lui, la révolution a déjà eu lieu au Cameroun et il met en garde contre une identification trop rapide aux révolutions du Maghreb : «
En Afrique du Nord, la situation n’était pas la même. Ce n’est que maintenant que le vent du changement souffle là-bas. Il y a vingt ans que nous avons conduit cette révolution. Il faut savoir lire l’évolution de l’humanité. Ce qui se passe là-bas s’est déjà passé chez nous», a martelé le ministre. Pour M. Tchiroma, «ces aventuriers» veulent condamner le Cameroun à «l’effort de Sisyphe, un éternel recommencement. Notre pays n’a jamais été autant crédible qu’aujourd’hui. Sa stabilité est confirmée par les institutions financières internationales. La paix au Cameroun est devenue une culture». (source : Mutations).
Voilà donc sur quoi repose la stabilité du Cameroun aujourd’hui : l’idée que la « révolution » économique et la marche vers le progrès ont déjà eu lieu sous la houlette du pouvoir en place, et l’idée d’une paix à tout prix, profondément incarnée par la pérennité du président.
La Tunisie, passe encore, mais laissons Kadhafi en Libye !
Et en effet, il est finalement étonnant de constater à quel point les révolutions du Maghreb, qui exaltent pourtant une bonne partie de la planète, laissent froids la plupart des camerounais. Si l’exemple de la Tunisie était vu avec une certaine admiration mêlée de perplexité, la « contagion » à l’Egypte, puis à la Libye a provoqué de sérieuses remises en question : finalement, à l’instar de la Côte d’Ivoire, tout cela ne tiendrait-il pas d’une vaste opération fomentée par l’occident pour récupérer le pétrole libyen ? Et surtout, que deviendrait l’Afrique sans les investissements libyens ? En effet de nombreuses entreprises africaines ne doivent leur survie qu’à la prodigalité de Kadhafi, comme le rappelle un article de camer.be. Si Paul Biya n’a pas, comme Wade ou Alpha Condé, exprimé publiquement son soutien à Mouammar Kadhafi ; dans la rue, les Camerounais restent pragmatiques : lorsque le pétrole est en jeu, les occidentaux ne sont jamais loin. La révolution a bon dos. Au Cameroun, la corde sensible du panafricanisme et le rejet de toute ingérence politique prend le pas sur l’idéal révolutionnaire. N’en déplaise à certains rêveurs, le vent de la révolution du jasmin n’est pas encore venu à bout du désert.